Des gens très bien

Pour mon anniversaire, on m'avait offert le livre d'Alexandre Jardin dont je vous avais parlé là.

J'avoue que j'étais très impatiente de m'y plonger mais que j'ai eu beaucoup de mal sur les soixante premières pages mais la faute n'en revient pas au livre mais à moi qui avais mal perçu le but du livre. En fait, je pensais qu'il s'agissait d'un récit de la vie du grand-père d'Alexandre Jardin, que le petit fils allait nous raconter ce qu'il savait de son grand-père pendant la période de la collaboration et du gouvernement de Vichy.
Alors, forcément, le fait de lire les sentiments éprouvés par l'auteur à longueur de pages m'a d'abord posé problème car j'attendais que l'histoire ne commence... Et puis, j'ai lu la quatrième de couverture et j'ai compris mon erreur et j'ai alors pu apprécier pleinement apprécier le livre.

Parce que, oui, il est très intéressant d'appréhender le cheminement d'un homme découvrant, acceptant et assumant un passé familial sur une période qui reste très amère et douloureuse pour beaucoup de français.
On est très loin de l'auteur de Fanfan ou de l'Ile des gauchers et je comprends qu'il ait aujourd'hui du mal à revenir à des romans plus légers et tendres !
Alexandre Jardin reproche à Jean d'avoir été le chef de cabinet de Pierre Laval, d'avoir donc su tout ce qui allait se passer et, même d'être au coeur des décisions sans avoir rien fait et d'avoir jusqu'à l'aveuglement du sentiment du devoir accompli.
Il lui reproche cette passivité de " bon aloi " qui fait fermer les yeux et rentrer paisiblement chez lui le soir alors qu'il avait les moyens de savoir et de s'indigner, voire de quitter le navire pour ne pas avoir à cautionner le système...

Petit plus : tout en lisant ce livre, j'ai lu également cet article de Gabriel Jardin, l'oncle d'Alexandre qui, lui, et persuadé que son père était un homme bien !
C'est très édifiant sur plusieurs plans car :
- cela permet de se rendre compte directement que le même " argument ", la même " preuve " utilisée par l'un et l'autre peut alimenter une théorie et celle contraire dans le même temps.
- cela fait réaliser à quel point il devait être difficile à la fin de la guerre (et même encore aujourd'hui) de savoir comment se plaçaient les gens. Il y a eu une poignée de héros, une base silencieuse et, au milieu une masse incroyable de gens pour lesquels il est difficile de savoir exactement quel fut leur rôle et leur volonté.

Cela m'a fait repenser au livre de Kessel sur le médecin d'Himmler. Finalement, cet homme-là que l'on peut facilement classer du côté des Justes, a également été considéré comme une ordure car il avait accepté de soigner Himmler, l'un des pires meurtriers nazis...Pour certains, la trahison se situe au moment de cette acceptation quoi qu'il ait pu en tirer par la suite ! Il aurait dû laisser souffrir cet homme, ne pas lui apporter de réconfort physique...
Et, finalement, c'est un peu le débat de la famille Jardin car Gabriel estime que son père a conservé sa place pour éviter que ce ne soit pire et qu'il s'est donc sacrifié et a préféré sacrifier quelques personnes pour en sauver tellement d'autres...
Et cela doit être le cas pour tellement de personnes à plus ou moins grande échelle : le boulanger du village qui devait fournir du pain pour le régiment allemand en poste à peine d'être arrêté. Collabo ou acculé ? Les propriétaires réquisitionnés pour loger l'occupant à peine d'être fusillés, sympathisants nazis ou cherchant à sauver leur peau ? Le chef de cabinet qui collabore avec les Nazis, notamment, en fermant les yeux sur la rafle du Vel d'Hiv, meurtrier contre l'humanité ou a t'il fait cela pour permettre à la France d'être moins écrasée, humiliée par Hitler comme certaines autres populations d'Europe, pour sauver tellement d'autres personnes (juives ou non) qui auraient pâti de cette résistance officielle (c'est le noeud du débat entre l'oncle Jardin et le neveu Jardin) ?
Je ne me permettrais pas de juger ou de livrer une opinion tranchée sur le sujet mais, je conçois toute la difficulté qu'il y a à démêler cet écheveau...

En tous cas, j'ai beaucoup aimé ce livre d'un homme qui ose, 70 ans après, assumer le passé de sa famille. En revanche, arrivera-t'il un jour à la résiliance. Ca, je n'en suis pas convaincue..
Ce que j'imagine sans peine, en revanche, c'est que les repas de famille doivent se faire rares chez les Jardin !