De la banalisation de la perversion
J'avais envie d'évoquer le scandale qui, visiblement, a secoué internet et le PAF ce week-end autour de l'émission phare d'une chaîne du groupe Bolloré.
Très sincèrement, c'est une émission sur laquelle il m'était arrivé de tomber quelques fois au tout début et j'avais bien aimé le ton décalé et irrévérencieux, puis, plus récemment, j'étais retombée dessus et je n'avais pas du tout aimé ce que j'avais vu... J'avais donc changé de chaîne et étais passée à autre chose...
Et puis, donc, samedi matin, j'ai vu plusieurs actualités autour de ce qui s'était passé dans l'émission de la veille, du drame, du scandale, etc. Du coup, je me suis intéressée au sujet parce que les gros titres m'interpellaient sur le ressenti que j'avais eu la dernière fois que j'étais tombée sur l'émission et sur un autre sujet auquel je suis sensibilisée au sein de l'association des parents d'élèves de l'établissement de Sainte Chérie : le harcèlement !
Donc, il semblerait qu'en fin de semaine dernière, le présentateur-producteur de l'émission ait monté des caméras cachés, ayant pour "victimes" ses chroniqueurs mais qu'au moins l'une d'entre elle a été psychologiquement assez violente pour le protagoniste piégé. J'avoue que j'ai regardé ladite séquence et qu'effectivement, ça avait de quoi fortement déstabiliser mais bon... comme dirait l'autre " c'est le jeu, ma pauvre Lucette ! " !
En revanche, ce que j'ai trouvé hautement pervers, cruel et intolérable, c'est qu'on apprend que le pot aux roses n'a été dévoilé au chroniqueur que le lendemain après qu'il aurait informé le présentateur vedette de sa volonté d'arrêter l'émission. Là encore, j'ai regardé la séquence et ça m'a choquée à plus d'un titre...
C'est-à-dire que faire vivre une situation hautement flippante à quelqu'un et s'en moquer peut être considéré comme un amusement pour certains mais, personnellement, je trouve que la cruauté envers les autres ou leur humiliation n'est jamais drôle même si je n'en suis pas la victime.
Faire vivre une situation hautement flippante à quelqu'un et le laisser dans son jus sans lui révéler la supercherie pendant une douzaine d'heures, ça procède de la perversion.
Faire vivre une situation hautement flippante à quelqu'un, le laisser dans son jus pendant une douzaine d'heures et continuer à se foutre de lui devant le désarrois qui suit la révélation à coups de " tu m'aimes, mon chéri ! " et le diffuser à l'antenne en rajoutant des tonnes de " il est mal, là ! ", " mais c'était une caméra cachée, connard ! ", " tu m'aimes encore plus qu'avant, hein ? ", " Il m’aime tellement, il était tellement déçu", et j'en passe et des meilleures, là, ça me fait sortir de mes gonds !
Je veux dire qu'on peut ne pas prendre conscience qu'une blague qu'on ne pensait pas si dure puisse avoir un tel impact mais s'en gargariser, s'en moquer et en rajouter, le médiatiser et rabaisser l'autre, ça, c'est inconcevable !
Je n'ai pas à juger de la réaction du chroniqueur qui a peut-être pris les choses trop à coeur et n'a pas su gérer les émotions liées à la situation mais l'autre, quand il s'en est aperçu, n'avait pas à continuer et à en remettre couche sur couche car c'est un acte volontairement cruel et l'enrober à coups de " quand on est de ma famille... ", de " mon chéri... ", de " je t'aime, tu m'aimes... "est encore plus abject car ce n'est ni plus ni moins que de la perversion...
C'est l'homme qui bat sa femme ou le parent qui bat ses enfants en leur assénant que ce sont eux qui l'obligent à agir comme ça car lui ne veut pas, car il les aime mais que ce sont eux qui créent cette situation... C'est une illustration de " je te rends dépendant à moi (" c'est moi qui t'ai donné du travail quand tu as été viré comme une merde ", " tu ne m'as pas trahi ", " je t'aime ", " mon chéri ") pour mieux te rabaisser en montrant et en moquant tes failles et faiblesses (" regardez le comme il est mal ! ") et en te faisant croire que tout est de ta faute ".
Après, du coup, je suis également tombée sur d'autres articles qui racontaient les " humiliations " et " trahisons " dont le fameux chroniqueur semble être l'objet depuis plusieurs mois parce qu'il a l'air d'être facile de tomber sur lui et de lui en faire voir de toutes les couleurs...
Là encore, je ne rentre pas dans le débat de " s'il est si malheureux que ça dans cette émission, il n'a qu'à démissionner ". Tous ceux qui ont été, un jour ou l'autre victime de harcèlement ou de perversion savent que ce n'est pas si aisé que ça de s'en sortir car le jugement est altéré, ainsi que la confiance en soi.
Et si cela s'avère être exact, ce n'est ni plus ni moins que du harcèlement en bonne et due forme, que ce soit pour des raisons d'orientation sexuelle ou tout simplement parce qu'il est le plus faible donc le plus facile à humilier...
Et, de là, je me dis que cette émission phare a une audience très élevée auprès des jeunes, qu'elle est diffusée à une heure de grande écoute et qu'il ne faut pas s'étonner si certains ne voient que le côté désopilant d'être le bourreau et qu'ils reproduisent le modèle montré à la télé...
Il y a quelques années, une polémique était née autour de l'émission " Jackass " qui incitait les jeunes à reproduire les situations dangereuses montées pour l'émission...
On y est là, non ?
Non, on y est même encore plus car on peut considérer que dans l'émission américaine, les jeunes, qui reproduisaient les situations à risques, même inconscients du danger, étaient consentants alors que, là, le chroniqueur n'était pas du tout consentant et que, visiblement, cela fait des mois que même s'il dit " non ", on lui fait subir les vexations et autres humiliations en direct...
Doit-on rappeler que le bizutage (art 225-16-1 du code pénal) et le harcèlement moral (art L. 1152-1 du code du travail) sont interdits par la loi française ?
Doit-on tolérer que la télé qui sert, malheureusement, souvent de modèle valorise en toute impunité ce type de pratique ?
Doit-on tolérer qu'un présentateur-producteur (qui, visiblement, a le bras long dans le milieu) puisse se comporter comme un parrain de la mafia avec ses " tu le sais bien, quand tu es dans ma famille, tu sais que je t’aiderai toujours... " (vous les entendez les violons de Nino Rota ?) ?
Et, nous, d'essayer à notre niveau de faire de la prévention auprès de nos jeunes dans le cadre de la campagne nationale contre le harcèlement moral...
Maintenant, que ce soit une grosse mise en scène pour faire de l'audience et que la victime n'en ait eu que le titre (après tout, les lois de l'audimat...) ou que ce soit réellement ce que ça avait l'air d'être, c'est tout aussi vomitif et abject dans la banalisation de l'humiliation !
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